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La doctrine : élément essentiel d’une recherche juridique complète
Introduction
Parmi les différentes sources de droit, la doctrine est trop souvent sous-estimée, voire carrément mise de côté lorsque vient le temps d’effectuer une recherche juridique. Pourtant, elle s’avère un élément essentiel de toute recherche qui se veut complète. Non seulement elle possède des caractéristiques que la jurisprudence n’a pas mais en plus, les experts en recherche sont unanimes à souligner son rôle capital et ce, autant en droit civil1 qu’en common law2.
Définition de la doctrine
Lorsqu’il s’agit de définir ce qu’est la doctrine, deux visions semblent s’affronter.
D’une part, certains auteurs adoptent une définition plutôt restrictive : elle est le « droit savant qui émane généralement des professeurs et chercheurs des facultés de droit, par opposition aux ouvrages pratiques, qui émanent souvent des praticiens »3. Ce sont les composantes d’analyse du droit et de critique de la jurisprudence ou de la pratique qui caractérisent cette approche de la doctrine, les autres ouvrages tenant plus du résumé ou de la synthèse du droit, lesquels possèdent davantage une utilité pratique4.
D’autre part, de façon plus générale et informelle, la doctrine est définie comme « l’ensemble des ouvrages dans lesquels les auteurs expliquent et interprètent le droit »5, ou « l’opinion des auteurs qui écrivent dans le domaine du droit. Par extension, l’ensemble des auteurs »6. Dans cette dernière définition, le critère d’analyse est absent. Pour les fins du présent article, c’est cette définition qui sera retenue sans pour autant prendre position sur la question de la définition à donner à la doctrine.
Les différents rôles de la doctrine
La doctrine peut servir plusieurs fins. D’abord, et c’est probablement le rôle qu’on lui connaît le mieux, elle décrit le droit applicable. Les auteurs décrivent et analysent la loi et la jurisprudence pour en dégager les grands principes. Elle possède donc un aspect descriptif et plutôt neutre7, ce qui est très utile, autant pour les praticiens que pour les étudiants en droit, ou encore pour les profanes.
Le second rôle de la doctrine est de servir de source de droit substantiel. Voici quelques exemples :
- la présence de courants doctrinaux contradictoires peut amener une cour de justice à se prononcer sur l’un d’eux et ainsi trancher une controverse juridique8 ;
- elle se penche sur des questions non encore abordées par les tribunaux ou purement théoriques ;
- elle affirme des règles non encore codifiées que la jurisprudence incorporera éventuellement9 ;
- elle réitère l’état du droit lorsque celui-ci est rarement abordé en jurisprudence10 ;
- elle peut même se faire critique du droit11.
Comme on peut le constater, sans nécessairement à avoir à créer le droit, la doctrine possède une utilité indéniable en tant que source de droit.
La doctrine comme point de départ d’une recherche juridique
La doctrine est l’outil par excellence pour débuter une recherche, les experts en la matière sont unanimes à cet égard12. Parmi les avantages à l’utiliser en début de recherche, on peut retenir ceux-ci :
- elle est rédigée par des experts ;
- elle fournit l’état du droit (faire attention cependant à la date de publication) ;
- elle offre une synthèse sur un sujet ;
- elle vulgarise des notions complexes, ce qui permet de se familiariser avec un domaine de droit qui n’est pas maîtrisé ;
- elle utilise le vocabulaire propre à un domaine de droit, ce qui permet notamment de repérer des mots clés qui seront utiles lors de la recherche ;
- elle contient également souvent des index, tables des lois et de jurisprudence, bibliographie, tableaux, etc.
En outre, et c’est là l’un des aspects les plus importants, la doctrine donne accès à une liste des arrêts de principe, à des jugements d’intérêt ainsi qu’à des références à d’autres auteurs experts en la matière. C’est ce qui permet de regrouper une liste d’autorités pertinentes dès le début du processus de recherche.
Où la trouver?
Tout comme pour la jurisprudence, la doctrine se retrouve à maints endroits et est offerte en différents formats, que ce soit en ligne et/ou en « version papier », ce qui rend parfois difficile la possibilité d’effectuer une recherche réellement exhaustive.
Sans avoir la prétention d’être exhaustif, voici une liste de produits de recherche et de sites que l’on peut utiliser afin d’effectuer une recherche en doctrine québécoise et canadienne :
- La référence
- Soquij
- CAIJ – Centre d’accès à l’information juridique
- WestlawNext Canada
- Lexis Advance Quicklaw
- HeinOnline13
Il est à noter que la doctrine portant sur des domaines particuliers, tels que le droit fiscal14, peut se retrouver au sein de ressources spécialisées qui sont propres à ces domaines.
Un mot enfin sur la doctrine ne se retrouvant pas en ligne. Hélas, certains (plus souvent les membres de la jeune génération), omettent une visite en bibliothèque pourtant essentielle et ainsi n’utilisent pas l’incarnation « physique » de la doctrine. Pourtant, et on ne le répètera jamais assez, on y trouve des trésors. En effet, non seulement toute publication n’existe pas nécessairement en version électronique, mais en plus de vieilles éditions qui n’existent pas autrement et qui possèdent un contenu unique n’existent qu’en… « livres ».
Qu’en est-il des blogues juridiques?
En terminant, un bref mot sur les blogues juridiques auxquels nous assimilerons, pour les fins de cette publication, les publications faites par les cabinets d’avocats sur leur site web.
Les blogues juridiques sont-ils de la doctrine? La question se pose car ce type de publication prolifère depuis quelques années. En effet, quel cabinet « digne de ce nom » n’a-t-il pas son ou ses blogue(s)?
Sans généraliser, le contenu des blogues est souvent bien moins étoffé que les traités ou articles publiés dans des revues juridiques. Les textes sont courts (et c’est voulu ainsi) et ne portent que sur un ou quelques aspects d’un sujet. La publication type est souvent un commentaire d’arrêt dans lequel on retrouve des extraits du jugement abordé ainsi que quelques commentaires. On est aux antipodes du critère de l’exigence d’analyse énoncé par l’honorable P.J. Dalphond15.
Toutefois, et c’est là l’un des grands avantages des blogues, ils sont des créatures de l’instantanéité qui caractérise notre époque : aussitôt un arrêt de la Cour suprême du Canada est-il rendu qu’on le verra commenté dans un blogue juridique le lendemain.
Un autre aspect intéressant des blogues est qu’ils abordent des domaines ou sujets peu ou pas abordés par la doctrine traditionnelle16.
En somme, si le contenu de fond n’est généralement pas la norme des blogues juridiques, ceux-ci s’avèrent un excellent outil afin de rester informé de l’actualité juridique en plus d’être les seules sources sur des domaines peu éclairés par la lumière de la doctrine traditionnelle.
Conclusion
La doctrine est définitivement un outil qui se doit d’être considéré pour toute recherche juridique. Elle est une source de droit à part entière et elle couvre pratiquement l’ensemble du droit. En effet, rares sont les sujets qui n’ont pas été abordés. De plus, en offrant une synthèse du droit et en regroupant la jurisprudence et les auteurs pertinents sur un sujet, la doctrine s’avère une ressource essentielle à utiliser dès le début d’une recherche juridique.
1 Voir par exemple : Denis Le May et Martin Thiboutot, Documentation juridique : recherche, rédaction et références, Wilson & Lafleur, 2014 à la p. 157 ; Sophie Lecoq, Isabelle Lizotte et Catherine Wagner, « La recherche d’information juridique : du flair, de la méthodologie, de la technologie » dans Barreau du Québec - Service de la formation continue, Congrès annuel du Barreau 2011 à la p. 6.
2 Ted Tjaden, Legal Research and Writing, 4e éd., Irwin Law, 2016 ; J.E. Côté et D.J. MacGregor, « Practical Legal Research » (2014) 52 Alb L Rev 145 à la p.148.
3 Pierre J. Dalphond, « La doctrine a-t-elle un avenir au Québec? » (2008) 53 R D McGill 517 à la p. 521. Voir également : Aurore Benadiba, « Pour une responsabilité éthique et réflective de la doctrine » (2016) 118 R du N 243 aux pp. 253 et suiv.
4 P.J. Dalphond, Ibid.
5 Hubert Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 4e éd., Wilson & Lafleur, 2010 à la p. 209.
6 Serge Guinchard et Thierry Debard, dir., Lexique des termes juridiques, 20e éd., Paris, Dalloz, 2012 à la p. 333 sub verbo « doctrine ».
7 Cela n’empêche pas pour autant la présence de courants doctrinaux bien distincts sur une même question de droit.
8 Voir par exemple : P.J. Dalphond, supra note 3 aux pp. 527-529.
9 Ibid.
10 Le droit constitutionnel est un excellent exemple. Voir par exemple : Henri Brun, Droit constitutionnel, 6e éd., Yvon Blais, 2014 aux par. I.117 et suiv.
11 P.J. Dalphond, supra note 3 à la p. 529.
12 Supra notes 2 et 3.
13 Le contenu canadien et même québécois dans HeinOnline n’est pas à négliger.
14 Par exemple : IntelliConnect, Taxnet Pro et TaxFind.
15 Supra note 4.
16 À titre d’exemple, la réglementation en valeurs mobilières.
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